Elena Bosco en parfait équilibre à Avignon

Publié le par Fabrice Littamé

Seule en scène, la femme occupe l'espace d'une présence intense, de toute la force de son corps, de l'acuité de son regard et de la grâce de ses cheveux bouclés dont les volutes invitent au voyage. Elle roule des yeux, les grossit dans l'iris immaculé de l'étonnement, les fixe dans la pupille sombre de la stupéfaction. Puis, telle une apparition fugitive, elle glisse devant les spectateurs sur son fauteuil à roulettes avec lequel elle les emporte dans une spirale entremêlant son monde intérieur et ses lectures.

Dirigeant deux compagnies, « Le pont volant » à Paris et « La robe à l'envers » à Ramatuelle, titulaire d'un DEA de lettres modernes obtenu à l'université de Turin, avant qu'elle ne soutienne le même diplôme en études théâtrales sous les arcanes parisiens de la Sorbonne, Elena Bosco arpente trois ouvrages dans « En déséquilibre constant » qu'elle vient de jouer au festival d'Avignon: « Dona Flor et ses deux maris » de Jorge Amado, « Les intermittentes de la mort » de José Saramago et « Les bienveillantes » de Jonathan Littell.

Ce triptyque qu'elle a construit à partir d'un travail d'improvisation scellé autour de son imagination, sa fantaisie et ses affres aborde des thèmes qui lui tiennent à cœur : dans le premier volet, le déchirement sentimental en faisant écho à une autre Elena et ses hommes dans le film éponyme de Jean Renoir, le combat entre la vie et la mort dans le second et, dans le dernier, l'ambiguïté de la nature humaine écartelée entre le bien et le mal à travers l'évocation d'un SS qui reste attachant malgré la turpitude de son âme. Tantôt décontractée dans un tee-shirt blanc moulant, tantôt plus élégante dans une veste de cérémonie, cette voyageuse de l'incertitude et de la fracture témoigne de cette sensation jusque dans ses vêtements différents qu'elle change avec vivacité.

Ces histoires reposent sur le même principe du déséquilibre, du risque de la bascule dans un gouffre, de l'harmonie à obtenir entre deux pôles antithétiques. Elles évoquent toutes cette position stable à trouver pour éviter la vertigineuse chute.

A la fois manipulatrice d'objets, chanteuse pleine de drôlerie et mime dans ses nombreuses expressions du visage comme dans ses gestes clownesques, voire burlesques, la comédienne oscille avec sa nouvelle création, entre les excès et la mesure, la tragédie et l'humour, le réalisme et la poésie. Portant le nom d'un auteur français, elle se dédouble aussi en manipulant des accessoires muets mais loquaces en images, se lançant dans une chevauchée dans l'imaginaire du public grâce à leur pouvoir universel.

En en posant quelques-uns sur une longue table comme des reliques sur un autel, en en brandissant d'autres comme des offrandes qu'elle caresse de ses mains avec douceur, cette libellule de la mémoire en utilise certains personnels comme un paquet de cigarettes, un briquet, une crème dont elle lit les vertus sur le tube et même son alliance. Elle égrène ainsi des bribes de sa vie comme son mariage récent en mars 2013 mais un fil conducteur tisse la toile de fond comme une profession de foi: son écartèlement entre son pays natal, l'Italie, et sa terre d'adoption, la France.

Cette conteuse mène ce monologue à plusieurs voix avec des partenaires de jeu qu'elle sort de ses cartons noirs comme les sortilèges d'une boîte de Pandore qui aurait métamorphosé les maux de l'antiquité grecque en mots d'aujourd'hui. Elle extirpe notamment tout un arsenal pour suggérer le temps qui passe : des horloges, des réveils, un calendrier ou, même, un sablier.

Dans le dernier tableau, cette odalisque de la littérature avance un pied après l'autre sur des livres carrelant le sol en rendant hommage aux écrivains qui nous font progresser sur le chemin de la connaissance, en ouvrant des brèches sur un avenir dont elle se sentait privée à l'orée de son soliloque. Evoluant à la frontière du vide avec « En déséquilibre constant », ce funambule ne chancelle jamais et garde son équilibre en se maintenant sur la corde raide des émotions, gage de l'authenticité de son propos.

Publié dans Théâtre

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